Biographie

Né en 1922, Jean Daladier n’est arrivé à l’architecture que tardivement et après un parcours bouleversé par la Seconde Guerre mondiale et l’emprisonnement en 1940 de son père, Édouard Daladier. Jean Daladier est alors tout juste bachelier et se retrouve seul, sa mère est morte quand il avait 12 ans.
Après la suspension en 1942 du procès de Riom où comparurent Édouard Daladier et Léon Blum et la détention un an plus tard de son père en Allemagne, il entre dans la résistance sous le nom de Jean Davenne. Durant cette période, Jean Daladier élevé dans une famille anticléricale se convertit au catholicisme. Blessé dans le Jura, il échappe aux soldats allemands et passe clandestinement en Suisse pour être opéré puis retourne dans le maquis.
À Genève, il rencontre par l’entremise de l’abbé Charles Journet (1871-1975) qui l’a baptisé, Bernard Anthonioz (1921-1994), lui-même résistant, fervent catholique et éditeur de manuscrits interdits de publication par la censure de l’occupation tels Les Yeux d’Elsa de Louis Aragon.
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Son amitié avec Geneviève de Gaulle (1922-2002) que Bernard Anthonioz épouse après la guerre* sera déterminante dans son engagement auprès ATD quart-monde et son parcours spirituel.
En 1945, Jean Daladier fait partie de l’armée française d’occupation en Allemagne comme de nombreux jeunes résistants. André Malraux est son capitaine. Commence alors une longue relation entre l’écrivain et Jean Daladier.
Il s’embarque cette même année pour les USA. Après un séjour de six mois à New York, il décide de partir en voiture pour le Mexique.
Une panne d’essence à Houston au Texas l’amarre dans cette ville du sud des États- Unis où il travaille dans une usine de coton. Il fréquente la communauté catholique et rencontre Dominique de Ménil (1908-1997), née Dominique Schlumberger, convertie elle aussi au catholicisme depuis son mariage avec Jean de Ménil. Les Ménil lui proposent de venir vivre chez eux.
Houston Texas est le quartier général de la famille de Ménil où le couple a émigré en 1941, année qui marque également l’achat par Dominique de Ménil de son premier tableau, une aquarelle de Foujita, prémisse d’une collection à venir d’art moderne et contemporain comptant parmi les plus importantes au monde. L’amitié qui se tisse entre Jean Daladier et Dominique de Ménil sera indéfectible comme celle qui le lie à Bernard Anthonioz et Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Spiritualité, art et littérature, engagement aussi dans le civils rights movement pour mettre un terme à la ségrégation raciale aux États-Unis, nourrissent les liens et forment une quadrature émancipatrice. Quadrature qu’ont également grandement influencé l’abbé Charles Journet et le père dominicain Marie Alain Couturier (1897- 1954)**, grand théoricien de l’art notamment sur la place de l’art contemporain au sein de l’église catholique qui influença les époux de Ménil dans leur rapport à l’art.
En 1947, Jean Daladier rentre en France et s’inscrit à la fac de droit qu’il délaisse rapidement.
Il répond à une annonce dans un journal proposant de diriger un chantier au Tchad de construction de logements pour les fonctionnaires de l’administration française. Embauché, il part en 1949 à N'Djaména au Tchad, d’où il poursuit sa correspondance avec André Malraux. Deux ans plus tard, il épouse Francine Weil.
En 1951, de retour à Paris, Jean Daladier exerce différents métiers et consacre beaucoup de temps à une passion éprouvée dès l’adolescence : le théâtre pour lequel il a d’abord écrit avant de jouer et mettre en scène. Passion qu’encouragent Jean Vilar qui l’incite à rejoindre sa troupe du TNP puis Tania Balachova qui, à son tour, lui demande de participer à ses projets. Il décline l’un et l’autre.
Au cours des années 1950, la galeriste Janette Ostier l’initie à la calligraphie, la peinture et l’architecture japonaises. Spécialisée en art japonais, la galerie-musée du couple Ostier, place des Vosges, est renommée. La première œuvre d’art de Jean Daladier sera une peinture sur soie chinoise achetée lors d’une vente à Drouot.
L’acquisition au retour d’Afrique d’une ferme à Bréval, dans les Yvelines, représente un autre rêve un temps envisagé : s’y retirer et vivre de la terre en écrivant des pièces de théâtre. Il plante à cet effet cinq hectares de pommiers, installe un poulailler, des chèvres et restaure la ferme lui-même. Bréval deviendra simplement la maison de week-end et de vacances de la famille.
De 1952 à 1958, Jean Daladier est employé dans le suivi de chantiers de construction au Maroc. Il ambitionne rapidement d’autres perspectives. Les réalisations de Le Corbusier le captivent. Il prend contact avec lui. Une relation égrainée de déjeuners et de promenades s’établit entre les deux hommes. Par Le Corbusier, il rencontre le compositeur Pierre Schaeffer (1910-1995), père de la musique concrète.
Lors de l’Exposition internationale de Bruxelles en 1958, Jean Daladier visite le Pavillon Philips de Le Corbusier et Xenakis et assiste au spectacle du Poème électro- nique conçu par Edgar Varèse et Xenakis. Il envisage plus que jamais de fonder sa propre agence qu’il crée en 1959.
À cette même cette époque, il participe à la création d’ATD quart-monde, s’intéresse à l’élimination des bidonvilles et à l’urbanisme des banlieues, mais il est handicapé par son manque de diplômes.
En 1961, Jean Daladier achète un immeuble insalubre et désaffecté, 73 quai de la Tournelle, face à Notre-Dame. Il le rénove avec une équipe de maçons catalans. Une émission de « Cinq colonnes à la une » fait connaître son travail. La réhabilitation de ce quartier (dit îlot 3) comme celle du Marais est encouragée officiellement quelques mois plus tard par la Loi du 4 août 1962 sur les secteurs sauvegardés, dite loi Malraux. L’opération se transforme en succès commercial pour Jean Daladier qui acquiert une notoriété dans ce domaine.
Avec les restaurations d’immeubles anciens se renouvelle le désir de concevoir des formes nouvelles d’habitation. La recherche d’un terrain boisé le mène en 1967 au nord de la Bourgogne, dans la commune de Saint-Julien-du-Sault où cinquante-cinq hectares de forêt sont à vendre. La vente de la propriété de Bréval finance l’achat.
Bordé de champs cultivés, le terrain fait partie d’une forêt de 300 hectares composée d’acacias, de bouleaux et de chênes. Le site allie plusieurs avantages : être proche de Paris et assez vaste pour accueillir les futurs prototypes d’habitation, dont le financement sera assuré par l’activité de réhabilitation de l’îlot 3 et de plusieurs bâtiments dans le Marais.
Les deux domaines d’intervention a priori dissociés l’un de l’autre par les époques dans lesquelles ils s’ancrent et les objectifs qu’ils poursuivent ne le sont pas tant. Il s’agit dans les deux cas de l’engagement d’un homme résolument indépendant dans deux entreprises alors peu communes en France faute d’un encouragement réel des autorités publiques. À savoir d’un côté la sauvegarde d’un patrimoine architectural historique à une époque où la modernisation rime dans bien des villes avec leur destruction ; de l’autre la réalisation de nouveaux habitats aussi bien individuels que collectifs tranchant avec la manière dont ils étaient communément pensés et conçus depuis les années 1950.
L’aménagement intérieur des appartements de ces anciennes demeures parisiennes, en particulier ceux qu’occupe à partir des années 1961 Jean Daladier, reflète une approche similaire dans la conception des espaces et la circulation entre eux. Dans les éléments voutés et les escaliers également.
« Pour faire revivre une maison du XVIe siècle, il n’est pas question de restituer minutieusement ce qui a peut-être existé ; il faut, à partir de ce qui peut être sauvé, susciter un espace équilibré, habitable aujourd’hui par des hommes de notre temps, et qu’ils marqueront à leur tour de leur empreinte » confie Jean Daladier à L’œil (n° 186-187, juin juillet 1970).
À Saint-Julien-du-Sault, le même souci d’équilibre et d’harmonie se retrouve dans à l’aménagement de la première clairière dans la forêt et dans le projet des « trois coupoles ». Ce premier prototype est construit à partir d’une structure en béton coulée dans un coffrage qu’on peut réutiliser et ainsi combiner pour un usage particulier ou collectif. Cette technique permet, en plus des possibilités esthétiques multiples qu’elle offre, de réaliser des habitations peu onéreuses et respectueuses de l’environnement. Car ces structures autoporteuses n’exigent que de simples fondations superficielles. Cette recherche de formes nouvelles est aussi portée par une quête humaniste et spirituelle, indissociable de son parcours d’architecte à venir.
Source Christine Coste - Dossier de présentation pour la DRAC Bourgogne

* C’est l’abbé Charles Journet, futur cardinal qui officie à leur mariage le 28 mai 1946. Théologien, Charles Journet fut aussi un grand défenseur de l’Art Moderne
** Marie Alain Couturier fut aussi le principal acteur du renouveau de l’art sacré en France après la Seconde Guerre mondiale